ENTREVUE : Force tranquille et souriante, Doris S.Y. Lee s’est entretenue avec Keih Saht Le afin d‘expliquer comment, à Hong Kong, Harmony House, agence qu’elle dirige depuis juin 2016, combat les violences domestiques tant d’ordre physique, sexuelle que psychologique. En Cantonais, Harmony House, 和諧之家, se prononce « Woh hàaih jī gā ». « Woh » indique le calme, la paix, « hàaih », l’harmonie, et, « Gā », la maison. Rassemblés, les quatre caractères 和諧之家 signifient la « Maison harmonieuse ». Introduction La « Maison harmonieuse », entre urgence et prévention Depuis que Doris S.Y. Lee pilote Harmony House, les effectifs s’y sont accrus de 50 %, tandis que les revenus annuels (donations) ont été doublés. Premier refuge de Hong Kong dédié aux femmes et aux enfants maltraités lors de sa création en 1985, l’agence continue de proposer des solutions d’urgence destinées aux victimes, tout en développant des programmes préventifs, éducatifs, et thérapeutiques. Harmony House ne se borne pas à défendre efficacement les victimes de violence. Simultanément, elle promeut un dialogue constructif au sein du cercle familial. L’objectif ultime de son action est de créer une harmonie relationnelle qui s’inscrit dans la durée. Aujourd’hui, le modèle de son organisation ainsi que ses programmes pionniers inspirent d’autres régions d’Asie (Chine continentale, Macao, Taiwan et Singapour). Concrètement, en 2023-2024, Harmony House a reçu plus de 12 800 appels téléphoniques sur ses trois hotlines dédiées aux femmes, aux hommes et aux enfants victimes de violence. Elle a protégé 330 femmes et enfants, réfugiés dans ses abris d’urgence (dont les lieux sont tenus secrets) et dénoué 593 cas impliquant une situation de violence domestique. En tout, plus de 183 800 participants ont bénéficié de ses ateliers de discussion, de sensibilisation contre la violence, de thérapie, de ses formations préventives ou de ses conférences publiques. Entretien avec Doris S.Y. Lee, directeur exécutif de Harmony House Quelle catégorie de la population est-elle la plus touchée par les violences domestiques ? L’année dernière, 1 666 cas de violences conjugales ont été signalés au Social and Welfare Department (Département des affaires sociales et de la protection) de Hong Kong. Il s’agit d’une amélioration par rapport au pic de 2014, année au cours de laquelle 3 917 cas avaient été rapportés. Les femmes, qui comptent toujours pour la plus grande proportion des victimes déclarées (86,7 %), se défendent mieux qu’auparavant. Elles ont acquis une meilleure connaissance de leurs droits, n'hésitent plus à prendre les devants pour protéger leurs enfants et, éventuellement, à demander le divorce. En revanche, le nombre de cas référencés de maltraitance d’enfants augmente - un quasi-doublement en dix ans -, passant de 856 en 2014 à 1 504 en 2024. Leur enfermement à la maison durant la période Covid (2020 à 2022) à cause de la fermeture des écoles a généré plus de conflits dans les foyers. La recrudescence de la maltraitance des personnes âgées qui est sous-déclarée, principalement composée de cas cachés, alarme aussi. Cette population constitue une cible d’autant plus facile qu’elle est isolée, chez elle ou en maison de retraite. Elle peut manquer d’énergie pour signaler les abus venant de leurs propres enfants, avides d’argent en période de marasme économique. La violence familiale touche toutes les classes sociales. Ce sujet sensible, profondément personnel, rend les gens moins enclins à révéler leurs expériences. Il est essentiel de surmonter les tabous sociétaux pour sensibiliser et encourager des discussions ouvertes. De nouvelles formes de maltraitance apparaissent-elles ? Les violences domestiques sont toujours du même ordre, à savoir physique, sexuelle et psychologique. Cette forme particulière de maltraitance se traduit par des injures récurrentes, des blâmes, des humiliations régulières entrecoupées de phases d’ignorance, des menaces dans l’optique de contrôler l’autre totalement. Depuis quelques années, la violence psychologique s’est appropriée de nouveaux outils conduisant au « cyber abus » avec, par exemple, l’envoi incessant de messages WhatsApp pour assurer son emprise, le chantage de publications en ligne de photos ou de vidéos compromettantes. Tous les moyens disponibles sont utilisés pour assurer sa domination et son contrôle. Quelles solutions Harmony House apporte-t-elle aux femmes victimes d’abus ? Tout d’abord, nous leur apportons (ainsi qu’à leurs enfants) un refuge immédiat d’urgence dans lequel, en général, elles restent deux semaines. En cas de circonstances spéciales, ces victimes peuvent y séjourner jusqu’à trois mois. Entretemps, si leurs revenus financiers sont coupés, nous les orientons vers des logements de transition subventionnés par le gouvernement (« transition housing »), en attendant d'emménager dans un logement social. Forte d’un réseau d’avocats spécialisés dans le droit de la famille, Harmony House fournit aux victimes toutes les ressources communautaires nécessaires pour un soutien juridique. Ces « Femmes survivantes » (« Female survivors ») sont invitées à suivre nos divers ateliers thérapeutiques (horticole, artistique, etc.) afin de se reconstruire mentalement. Nous pouvons en outre les mettre en relation avec les associations caritatives adéquates afin de les épauler dans une recherche d’emploi. Nous proposons aussi des programmes thérapeutiques aux auteurs de violence qui souhaitent rebâtir leur cercle familial de manière saine. Ils y apprennent à exprimer leur colère autrement que par la brutalité, à calmer leur irritabilité et à se comporter en parent responsable. Comment combattez-vous la maltraitance des enfants ? Ce sont souvent les parents qui nous appellent à l’aide, lorsqu’ils n’arrivent plus à communiquer avec leurs enfants ni à se faire obéir. Pendant les années Covid marquées par les fermetures régulières des écoles, les parents ont éprouvé beaucoup de difficultés à s’assurer que leurs enfants suivaient effectivement les cours à distance, qu’ils ne s’occupaient pas à quelque chose d’autre comme jouer en ligne. Maintenant, observant une baisse généralisée du niveau scolaire, les écoles veulent rattraper le retard : Elles demandent aux écoliers de mettre les bouchées doubles. Or, ceux-ci ont perdu l’habitude de se concentrer pour faire leurs devoirs… C’est ainsi que les tensions s’accumulent, provoquant des situations explosives au sein des familles. Pour sortir de cet engrenage, Harmony House donne des formations destinées à réinstaurer le dialogue entre parents et enfants. Ces dernières, qui ne permettent pas forcément d’améliorer le niveau scolaire, ont l’avantage de renforcer les interactions entre les membres de la famille, de les ressouder, créant de la sorte un terrain d’écoute. Vous lancez un programme « Intergénérationnel ». En quoi consiste-t-il ? En plus de notre hotline dédiée à la maltraitance des enfants, nous avons tissé des accords avec une centaine d’écoles (maternelles, primaires et secondaires) dans 18 districts de Hong Kong. Nous offrons une variété de programmes et d’activités d’éducation émotionnelle dans les écoles maternelles et primaires, favorisant une sensibilisation précoce à la conscience des émotions, à l’autoprotection, à la recherche d’aide et à la compréhension des méfaits de la violence domestique. Nos travailleurs sociaux animent des ateliers pédagogiques dans le « Harmony Express », une salle de classe mobile installée dans un camion de 5,5 tonnes. Ce faisant, ils identifient les témoins ou les victimes potentiels de violences. Harmony House les invite à soigner immédiatement le traumatisme qui en découle, car nous savons que les enfants répètent la violence de leurs parents. Il faut absolument briser ce cercle infernal. Débarrassés de leur traumatisme, les enfants peuvent ensuite vivre une vie d’adulte harmonieuse. La violence n’est plus transmise à la génération suivante. Nous croyons beaucoup en cette approche et avons convaincu le Hong Kong Jockey Club Charities Trust de financer ce projet. Les hommes victimes de mauvais traitements le signalent-ils ? Rarement. Plus de 90 % des usagers de nos services sont Chinois. Les normes culturelles découragent souvent les hommes de se reconnaître comme victimes. Nombre d'entre eux souffrent en silence, n’appelant à l’aide que lorsqu'ils sont confrontés à un divorce ou que leurs blessures s'aggravent, nécessitant une hospitalisation. La sensibilisation, un soutien exempt de stigmatisation, sont essentiels pour résoudre ce problème. Quels sont les grands donateurs de Harmony House ? Plus de 55 % de nos financements proviennent de sources non subventionnées. Cependant, en raison du contexte économique actuel, les coupes budgétaires affectent la disponibilité des fonds et, par ricochet, nos effectifs et nos services. L'une de nos initiatives passées, « Projet 40 Minutes @ Harmony Space », menée à Yuen Long (Nouveaux Territoires), un quartier où les violences conjugales sont fréquentes, était parrainée par la Bank of China Hong Kong Centennial Charitable Foundation. Ce projet encourageait la communication non violente pour les individus et les familles afin d'apprendre l'empathie, l'écoute active et l'absence de jugement pour améliorer les relations interpersonnelles. Nous avons prodigué des séances de conseil individuelles aux familles en conflit ainsi que des thérapies de groupe axées sur la prise de conscience émotionnelle et la communication bienveillante. Au cours des quatre dernières années, le nombre de bénéficiaires a dépassé les 138 000. Le financement initial de ce projet étant arrivé à échéance, nous recherchons activement de nouveaux donateurs pour continuer à fournir ce soutien essentiel. Afin d’assurer la pérennité de nos services dans les zones à haut risque, nous avons dès aujourd’hui un besoin urgent de donateurs, entreprises ou particuliers. Leurs donations sont bienvenues car nous savons, qu’au cours des prochains exercices, les fonds vont être de plus en plus difficiles à mobiliser. Pour donner un ordre de grandeur, un montant de 800 HKD permet de nourrir 5 habitants dans un abri d’urgence pendant un jour, 500 HKD couvre le coût d’une séance de conciliation destinée à un enfant témoin de violence. Faire une donation : https://www.harmonyhousehk.org/eng/donation Embauchez-vous ? A l’heure actuelle, nous recherchons des travailleurs sociaux capables de traiter les appels de nos trois hotlines, qui doivent être ouvertes 24 heures sur 24. Hotline pour les femmes : 2522 0434 Hotline pour les hommes : 2295 1386 Hotline pour les enfants : 2751 8822 Réaliser votre auto-évaluation : https://www.harmonyhousehk.org/eng/self-assessment Site internet de Harmony House : www.harmonyhousehk.org/eng Par EM à Hong Kong Entrevues : https://www.keihsahtle.com/entrevues.html
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